« Dans la Résistance, nous avions appris la solidarité et le refus du racisme »
Le texte qui suit est une reproduction du discours prononcé par Pierre Charret lors de la cérémonie organisée en son hommage au lycée Beaupré (Haubourdin) le 8 décembre 2021. Pierre Charret est un ancien résistant de la Seconde Guerre mondiale qui arpente les établissements scolaires pour livrer son témoignage.
Madame Kissany, Proviseure, Madame de Paris, Mesdames, Messieurs les enseignants et chers amis,
Nous sommes très honorés par cette cérémonie qui confirme votre attachement à la mémoire de la Résistance et la reconnaissance de notre contribution au travail des professeurs d’Histoire ; travail que nous menons avec notre beau comité lillois de l’Anacr depuis de longues années avec des camarades hélas disparus que j’associe à l’hommage d’aujourd’hui.
Yvonne Abbas, résistante déportée revenue des camps grâce à la solidarité de ses compagnes, dont le témoignage était si sensible à nos élèves et qui a laissé au lycée « les roses de Ravensbrück ».
Michel Defrance, Boulonnais parti à Paris avec ses parents poursuivis par la police de Vichy et par l’occupant. A Paris, il participe très tôt à un groupe de jeunes résistants communistes. Arrêté, évadé, maquisard FTP en Bretagne, à nouveau arrêté et blessé par les Allemands dans une tentative d’évasion et finalement sauvé par les Résistants.
Guy Béziade du Lot et Garonne, vite engagé dans le sabotage de la production destinée à l’armée allemande et bientôt maquisard FTP en compagnie de nombreux guérilleros espagnols. Il participe à la libération dans la région de Bordeaux et à Toulouse.
Pour ma part, résistant limousin, membre du quatuor fondateur, en 1943 au sein du lycée de garçons de Guéret, du groupe FTP « René Laforge », nom d’un jeune normalien de Dijon fusillé par les Allemands.
Tout en continuant nos études en liaison avec les premiers maquis et la direction creusoise des FTP qui nous avaient fourni des armes et initiés à leur utilisation, nous avons mené à la barbe de la police de Vichy et de l’occupant d’importantes actions jusque fin mai 44, à la veille de passer le Bac. Là, Marc Parrotin, l’initiateur de notre groupe fut arrêté en compagnie d’un autre résistant et emprisonné à Limoges où il sera torturé par la milice mais ne parlera pas. Nous serons séparés après le Bac. Peu avant le débarquement en Normandie. Je rejoins alors dès le 7 juin le maquis FTP de Mouhet (Indre) avec lequel je vais participer aux combats de la Libération puis, en septembre, comme quelque 300 000 résistants, je signerai l’engagement volontaire pour la durée de la guerre contre l’Allemagne (EVDG). Homologué sous-lieutenant FFI, je rejoignis, après des stages de formation militaire le 13ème R.I. sur le front de La Rochelle où j’eus la surprise de retrouver mon camarade Marc Parrotin, engagé aussi dès sa libération de la prison de Limoges. Nous resterons ensemble jusqu’à la capitulation allemande du 8 mai 45.
Ce n’est qu’à mon retour que j’appris que ma mère, lingère-infirmière dans l’EPS avec internat de la Souterraine, avait caché et soigné en 1944 des enfants juifs scolarisés sous de faux noms dont la mère de l’un d’eux, Mme Kahn de Merlebach, deviendra son amie.
La guerre terminée, nous étions heureux d’avoir participé à la victoire des Alliés sur l’hitlérisme. Devant le terrible bilan de la guerre, nous rêvions d’un monde définitivement en paix, un rêve conforté par le procès de Nuremberg et la création de l’Onu. A l’appel du CNR, nous nous sommes consacrés à la reconstruction nationale, à la mise en place de nouvelles institutions démocratiques et d’une législation sociale avancée suivant le programme du CNR. Informé enfin du génocide des Juifs, de l’ampleur des crimes connus dans les camps de concentration, de la répression et du terrible bilan de la guerre, nous partagions certes l’avertissement de Paul Eluard : « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons ». Mais nous n’imaginions pas le retour de nouvelles guerres, la France engageant des conflits de décolonisation, les USA forts de la possession de la bombe atomique exprimant une politique hégémonique. Nous ne prévoyions pas les problèmes écologiques, les menaces climatiques, environnementales entraînant d’interminables migrations et, en cas de nouveau conflit mondial avec l’utilisation de l’arme atomique, la fin de la civilisation humaine.
Dans la Résistance, nous avions appris la solidarité, le refus du racisme, la fraternité et la solidarité, côte à côte, croyants et non croyants, Français et étrangers de multiples nationalités. Leurs noms se suivent sur nos monuments, au Vert Galant, à la Citadelle d’Arras, au Mont Valérien.
Nous pensions en avoir fini avec l’idéologie nazie, le racisme, les entreprises d’asservissement. Cette négation de l’humanité, cette haine entre les peuples. Or, l’ONU n’a pas les moyens d’arrêter les conflits, la course aux armements ; la politique du « si tu veux la Paix, prépare la guerre » ! On déchante aujourd’hui.
Persuadés que l’avenir de l’humanité exige la Paix et une coopération véritable entre les nations et les peuples, nous nous efforçons de contribuer à une éducation à la Paix qui commence par la connaissance de l’histoire et particulièrement de cette période noire que nous avons vécue. C’est pourquoi nous témoignons, confortés par le soutien des enseignants et l’écoute des élèves.
Pleinement convaincus maintenant de l’avertissement de Paul Eluard : « Si l’écho de leur voix faiblit nous périrons », nous voulons croire que la sagesse humaine l’emportera et que la France y contribuera : la France d’Aragon « aux yeux de tourterelle… où les blés et les seigles murissent au soleil de la diversité ».
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