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Elie Cambien

L'enfer sur Terre : la grande Terreur en URSS

La Grande Terreur en URSS, 1937-1938. Carte tirée du manuel d'histoire Terminale (Hatier, 2020).


Né à Rostov de père diplomate russe et de mère française, le journaliste Eile Bacmienov a grandi en France. Envoyé spécial en URSS pour notre journal, il témoigne de ces 17 mois d'horreur (extraits de son journal de bord tenu jour après jour. Un livre est en préparation).

[Ce texte est issu d'un travail d'histoire-géographie. Les élèves devaient se mettre dans la peau d'un journaliste envoyé en URSS dans le but d'enquêter sur les transformations radicales imposées par la politique stalinienne, particulièrement en 1937 et 1938, années où une répression aveugle s'abattit sur le peuple soviétique...]

 

Depuis ma tendre enfance, mon père me parle de son pays d'origine, de ses beautés, sa culture, sa cuisine... Mais ces dernières années, mon père est plus sombre... Il m'a expliqué que depuis l'arrivée de Staline au pouvoir, en 1927, le chef de l'Etat a un objectif : créer "l'Homme nouveau". Pour cela, dès 1929, il a ordonné la collectivisation forcée des campagnes, la déportation de 2 millions de paysans koulaks (1929-1933), (entrainant une famine importante en Ukraine) ainsi que le "nettoyage" des régions frontalières du pays en déportant les habitants. En août 1936, j'ai suivi de près les "procès de Moskva" grâce à la médiatisation. J'y ai relevé beaucoup de mensonges, manipulations... Monstrueux, ces procès ! Comme si Staline voulait faire le ménage autour de lui et éliminer les ennemis supposés de l'intérieur.

Joseph Staline prononce un discours le 5 décembre 1936 à Moscou.-SNEP/AFP/Archives/.


Malgré ce contexte extrêmement violent, dangereux et risqué, mon père a compris mon souhait d'aller sur le terrain et de faire mon travail d'investigation.


1937 - Arrivée sur place

3 août

A mon arrivée dans ma ville natale, je cherche mes grands-parents qui doivent venir à ma rencontre. Personne... J'espère que rien ne leur est arrivé. Les rares regards des habitants que je croise sont tendus, effrayés, fuyants... L'atmosphère est pesante et inquiétante. Les passants rasent les murs et rentrent dès que possible chez eux. Mon instinct me dit de ne pas me rendre à mon hôtel et je décide de rejoindre mes grands-parents. Ils habitent une belle ferme, dans la rase campagne près d'une splendide forêt. Je cherche un moyen de locomotion. Personne ne me vient en aide. Je remarque que beaucoup d'habitations semblent vides : en effet, le jour tombe et peu de maisons sont éclairées. Le fameux "nettoyage" de Staline semble avoir été important ici ! Malgré mon russe impeccable, je n'ose pas poser de questions. Je profite de la nuit pour prendre la route à pied. A chaque passage de véhicules, la plupart militaires, je me cache dans les fossés. Soudain, une vingtaine de camions, remplis d'hommes armés, arrivent à toute vitesse dans un hameau. Très organisés, les agents de l'Etat entrent dans toutes les fermes en même temps. Ils emmènent hommes, femmes et enfants.

Des cris déchirent la nuit. Une rafale de mitraillette, des bruits sourds (des corps qui tombent ?) et puis un silence glacial. Les prisonniers sont embarqués brutalement, les familles sont séparées. Le convoi retourne sur Rostov. Je n'ose pas bouger. Puis, malgré la fatigue, la faim et la peur, je me remets en route.

4 août

Arrivé dans la nuit, je me cache dans la forêt, près de la ferme, mais je n'arrive pas à dormir, traumatisé par ce que je viens de voir. Au lever du jour, une femme sort de la ferme. Je souffle dans l'appeau que mon diédouchka avait fabriqué pour moi à ma naissance. Ma babouchka reconnait ce son unique, se retourne et me fait signe de ne pas bouger. Quelques minutes plus tard, je suis mis en sécurité dans la ferme. Mes grands-parents et moi discutons pendant des heures, entre pleurs de joie de se revoir et pleurs d'inquiétude. Ils m'expliquent la confiscation de leur bétail et de leur matériel agricole en 1930 puis ils me racontent les manifestations contestataires et leurs difficultés à se nourrir. Entre deux sanglots, ils réussissent à me dire comment ils ont échappé à la déportation locale des koulaks.

Manifestation dans le cadre de la dékoulakisation. Les calicots portent : « Nous allons liquider les koulaks en tant que classe » et « Tout pour la lutte contre les saboteurs de l'économie agricole ». Vers 1929-1934. (Source : Lewis Siegelbaum and Andrei Sokolov (Eds. ), Stalinism as a way of life. A narrative in documents. Documents comp. by Ludmila Kosheleva ..., Yale Univ. Press, New Haven, Conn. [etc.] 2000).


Ces témoignages me glacent le sang. J'ai tellement envie de faire quelque chose ! Je ne sais pas si mes grands-parents l'ont senti, mais ils m'ont expliqué qu'un "groupe" de résistance s'est mis en place dans la région. Malgré les risques, je veux m'y intégrer. [...]


1937 - Résistance - la Soprotivleniya

10 août

Mon nom de code est Nole. Je suis formé à intercepter les messages militaires. En effet, toute la répression mise en place par Staline est organisée secrètement, maintenant la population dans la Terreur et l'ignorance. Grâce à des membres infiltrés du "groupe" au sein du NKVD, j'ai pu lire l'ordre n°00447. Quelle horreur ! (C'était donc cela que j'avais vu à mon arrivée...).

L'ordre secret n°00447 du NKVD, datant du 30 juillet 1937, représente le point de départ de la Grande Terreur. Voir la traduction ci-dessous. (Source : Nicolas Werth, L’Ivrogne et la Marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse, 1937–1938, Tallandier, Paris 2009)



Le chef du NKVD de la région du Caucase du Nord a même ordonné de rafler plusieurs milliers de personnes par mois. Quelques soient leurs origines... Cela pourrait être toi ou moi. Mes grands-parents aussi. Je suis extrêmement inquiet pour eux. [...]

30 septembre

Il vient d'y avoir une rafle et j'étais là, au mauvais endroit au mauvais moment. Je suis convoqué comme "témoin" par le NKVD. Les services de police vont faire comme si il y avait une enquête, mais c'est faux. Mon référent du "groupe" m'a formé, mais je suis terrorisé... Je suis de retour, j'espère que je ne me suis pas trahi. De toutes façons, les consignes sont claires dans ces moments-là, je dois prendre de la distance avec "le groupe". Pendant plusieurs jours, je profite pour prendre du temps avec mes grands parents, me promener dans la forêt... [...]

6 octobre

Il gèle depuis plusieurs jours déjà... Dans la forêt, mon pied se prend dans une racine. Je tombe alors nez à nez avec... une main qui sort du sol ! Je découvre avec effroi que, sous la mousse, le sol avait été mal retourné sur des dizaines de mètres et une sorte de poudre blanche. Je m'approche et je sens : de la chaux. Mon contact du groupe m'en avait déjà parlé : des charniers ! Des centaines de personnes disparues (voisins, koulaks, agents, espions étrangers (japonais, lettons), femmes...) sont là, mortes, assassinées. (Le surlendemain, je verrai qu'un nouvel orphelinat s'est installé dans des maisons vidées de leurs habitants pour entasser les enfants de parents fusillés) [...]

30 octobre

Je reprends mes activités au sein du groupe. Le NKVD me surveille [...]


1938 : Vers Moscou : charniers, goulag ...

Fin mars

Après un hiver rigoureux, des difficultés pour se nourrir et les actions avec le "groupe", je décide de rejoindre Moskva.

Début avril

Lors d'une nuit claire (je ne sais plus exactement la date), je suis réveillé par des bruits de moteurs. Au milieu de nulle part, des dizaines de personnes sont descendues des camions. Elles sont fusillées sans cérémonie. Des cris, des bruits de mitraillettes, Puis ce silence glacial interrompu par des rires et un mot "den'gi" (argent) : ces agents de l'Etat évoquent la prime qu'ils vont toucher pour "ça". Après le départ des camions, je m'approche du lieu : aucun corps. Tous ont été assassinés près d'une fosse déjà prête (les corps y sont jetés) puis recouverte de mousse et de brindilles. Comme dans la forêt... Malgré mon estomac vide, je me suis mis à vomir ! C'est décidé, je vais relever tous les charniers que je trouverai. [...]

Dans cette forêt si paisible a priori, le NKVD a exécuté des milliers de personnes en 1937 et 1938 (peut-être 7000 en 14 mois). Les victimes (des ouvriers, des paysans, des fonctionnaires, des artistes, etc., accusés d'être des "éléments socialement nuisibles") étaient jugées rapidement par une Troïka, un simulacre de tribunal composé de trois agents du NKVD, puis amenées ici pour être fusillées dans le plus grand des secrets. Leurs corps étaient ensuite enterrés dans ce qui est devenu un des plus grands charniers de la Terreur stalinienne... Sandarmokh, République socialiste soviétique autonome de Carélie (crédits : Ninara).


12 Juillet

Cela fait des semaines que je cherche. Et j'en trouve encore... En plus, ce matin, en longeant la voie ferrée, j'ai encore vu un train à bestiaux rempli d'hommes, de femmes et d'enfants, entassés les uns contre les autres. Cet après-midi, ce même train est repassé dans l'autre sens, vide... Les goulags. Des bruits courent de plus en plus malgré la censure et la terreur. [...]

21 juillet

J'arrive à Moscou. Je suis arrêté. Classé dans la catégorie b de l'ordre n°00447.

23 juillet

Après 2 jours de torture, j'ai la chance de croiser l'ambassadeur de France à Moskva qui me sort de là et me met en sécurité à l'ambassade. Le NKVD est furieux. J'ai peur pour mes grands-parents. [...]

Nuit du 24 au 25 juillet

Mes grands-parents me rejoignent à l'ambassade. [...]

Juillet à novembre

Tiraillé entre ce soulagement d'être à l'abri et la Terreur que vivent les gens dehors, je continue d'enquêter avec l'aide du personnel et des renseignements. Je compile toutes les données que je reçois, que je trouve par moi-même. [...]

Novembre

Grâce au "groupe" qui savait où j'étais, je découvre que Staline a donné l'ordre, en secret, de mettre fin à la grande Terreur. [...]

Décembre

Staline ordonne d'arrêter Nikolaï Iejov, le nabot sanguinaire, chef du NKVD, l'accusant de tous ces massacres.

Après l'arrestation de Iejov, ce cliché officiel datant de 1937, où on le voit à côté de Staline, a été modifié...


Je profite de cette période de chaos interne, des règlements de compte au sein du parti communiste et dans l'armée rouge pour organiser mon retour en France avec mes grands parents. [...]

1939

Amaigri, je fais des cauchemars toutes les nuits, quand j'arrive à m'endormir. [...]


Eile Bacmienov

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