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Ines Lemoine

« À un moment, la passion devient un besoin »


En spécialité arts plastiques, ma classe de première a eu la chance de recevoir l'enseignement d'un photographe professionnel, Horric Lingenheld, dans le but de préparer une exposition de notre travail. J'ai eu la possibilité de l'interviewer afin d'en savoir davantage sur son parcours professionnel.

 

Avant tout, peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Horric Lingenheld, j'ai 48 ans et je fais de la photographie depuis l'âge de 14 ans. Au départ, je n'avais jamais envisagé cela comme un travail professionnel, c'était plutôt une passion mais à un moment la passion devient un besoin. J'aime collectionner le monde, le regarder, le mettre en perspective. L'idée de mettre en forme l'environnement, c'est ce qui m'anime et j'ai la chance de vivre de ma passion.

Source : Openeye,  « Rencontre avec DESTIN SENSIBLE à Art Up ! 2019 - Lille » sur youtube.


Comment et quand as-tu commencé à faire de la photographie ?

J'en ai fait de manière très amateure, en photographiant mon chien, les petites fleurs dans mon jardin comme plein d'autres amateurs. J'ai pas mal appris tout seul au lycée où j'ai fait les photos de classes ; cela m'a permis d'avoir un budget au foyer socio-éducatif et d'installer le labo photo. J'ai beaucoup appris avec un surveillant du lycée et globalement à mes 18/19 ans, j'étais super bon en labo, enfin je gérais toute la partie technique. Mais ce n'était pas pro. C'est au cours de mes études de biologie que j'ai commencé à choisir des stages. Je fais de la photographie professionnellement depuis mes 24 ans on va dire.


Comment as-tu appris ? Dans quelles écoles as-tu étudié ?

J'ai fait un parcours scientifique à Lille 1 en biologie. Je devais être professeur de biologie pour mes parents car c'était beaucoup plus rassurant que d'être artiste et ils m'ont interdit de faire une école d'art ou de théâtre. Je voulais faire du cinéma mais ce n'était pas jugé comme étant sérieux. J'étais un petit peu sage mais en prépa capes, j'ai tout arrêté. J'ai eu une première expo qui a commencé à tourner puis j'ai choisi une école de photographie qui proposait des stages. C'était « image ouverte » à Nîmes pendant un an. J'avais déjà des connaissances perso mais mon école m'a permis de me spécialiser auprès de gens, d’artistes de renom.


Quelles ont été les étapes importantes dans ton apprentissage de la photographie ?

Je pense que c'est l’expérimentation. Parce qu'en se trompant, on trouve des voies qui peuvent ne pas nous correspondre. Une étape importante a été mon passage au Centre régional de la photographie du Nord-Pas-de-Calais qui m'a donné une culture photographique et qui m'a fait rencontrer des artistes. Et là, tu commences à mettre en relation une passion, un discours et étayer une démarche. Finalement, je n'ai pas d'étape-clé. J'aime bien bidouiller. Par exemple j'ai assez bien vécu le numérique, j'étais le premier à avoir des ordis. Je suis passé du laboratoire au numérique sans trop de problèmes alors que dans ma génération, ce n'était pas forcément évident.


Quel matériel utilises-tu ?

J'aime beaucoup changer d'appareil photo en fonction des projets mais sinon j'ai un numérique : un Nikon, un Reflex, globalement les projets artistiques se font en argentique. J'aime bien le moyen ou le grand format qui sont des appareils photo plus lourds mais qui imposent du coup une certaine façon de photographier. Maintenant le numérique a plein d'intérêts et il faut espérer que ça s'améliore.


Combien de temps passes-tu sur tes réalisations ?

En ce moment, vu que je suis le directeur de la galerie Destin Sensible, j'y passe pas mal de temps en continu. Je ne suis pas artiste à temps plein, donc j'y consacre la plus grande partie de mes congés. En ce moment, j'ai des cycles de deux à trois ans avant de produire un travail mais ce n'est pas du temps continu : ça peut être un ou deux mois l'été ou 15 jours sur une année. Après j'ai des travaux de commande où c'est régulier.

Comment choisis-tu tes sujets et tes lieux de shooting ?

Je ne voyage pas pour photographier et je ne photographie pas pour voyager. Je photographie le lieu où je vis. C'est parce que je vis ou ressens quelque chose à l'endroit où je suis que je vais photographier. Donc mes sujets sont plutôt personnels, c'est très égocentrique, mais ils sont très liés à mon état d'âme ou à ce que je rencontre, donc ça peut être des gens quand je suis dans une ville toute nouvelle que je découvre, ça peut être des paysages parce que je les trouve particulièrement étonnants. Je peux très bien photographier sous l'eau ou en montagne comme je peux photographier la vie.


Quels sont les sujets qui te plaisent actuellement, et sur quoi travailles-tu ?

En ce moment, je retravaille une série de portraits que j'appelle ''les dormeurs'' : je leur demande de fermer les yeux et je photographie des visages avec les yeux fermés alors que normalement sur un portrait, surtout maintenant avec le masque, c'est plutôt le regard qui est important. Je les photographie dans une certaine torpeur, comme des gisants. C'est à nous d'imaginer ce qu'ils pensent. Je photographie pas mal d'adolescents en ce moment.


Peux-tu nous décrire rapidement le déroulement d'une séance photo ?

Je pense que nécessairement, il faut que la glace tombe. Je ne suis pas très tactile au quotidien mais quand je fais une séance en studio, par exemple, je vais toucher les gens assez vite pour les placer. Une fois que je suis rentré dans leur intimité et que j'ai bougé une épaule ou une mèche de cheveux, ça devient alors de la pâte à modeler : je peux en faire ce que je veux et, passées ces difficultés à toucher les gens, ça passe très bien.


Quelle importance donnes-tu à la postproduction ?

C'est primordial. Ce n'est pas ce qui fait la photo mais c'est l'aboutissement, ça fait partie du travail. On pense toujours que le photographe ne fait que les prises de vue mais il réfléchit avant et après : on fait souvent beaucoup d'images, donc on passe du temps à les trier et finaliser l'image. C'est important car ça dépend du format dans lequel tu va exposer, comment tu vas présenter... Donc la postproduction est importante dans l'expérimentation des matériaux, dans la sortie, les essais avant de choisir une forme définitive. Mais j'essaye le plus possible de penser à la forme finale au moment où je fais les photos.


Comment définirais-tu ton travail ?

Il est principalement documentaire et moi je me définis souvent comme un photographe assez lent parce que je ne fais pas une photographie d'action. Je ne suis pas un reporter ni un chasseur d'images et je vais surtout fonctionner par protocoles. Je vais plutôt m'installer, demander à poser. Je vais rarement être sur le vif.


Quel est ton projet préféré ?

Bizarrement c'est l'un de mes premiers. J'ai beaucoup aimé photographier les gens qui s’asseyaient en face de moi dans le métro à Lille. J'ai un souvenir attachant de ce moment, même si c'était violent tous les matins de photographier la personne qui s’asseyait en face de moi.

Pour voir l'ensemble du projet « METRO LILLE », cliquez ici.


Quels sont les aspects de la photo que tu apprécies le plus ?

Ils sont multiples. J'aime bien la diversité des usages de la photographie et je vais autant m'extasier d'un plasticien que d'un photographe de street photo ou que d'un photographe humaniste. Je pense que chacun à son propre regard et j'aime bien la diversité des regards.


Qui sont les photographes qui t’inspirent ?

Walker Evans, Robert Frank et en portraitiste français, je dirais Ronan Guillou.


Quels sont tes objectifs et projets futurs ?

C'est de mettre en perspective plein de volets différents du travail. Là, je suis à un moment donné dans ma carrière artistique où il faut que je vois si tout fait sens dans ce que je fais parce que je réalise aussi plein de projets scolaires et d'animations. Je n’arrive pas à faire la photographie de famille, artistique ou de commande et j'aimerais bien trouver un lien à tout ça afin d’avoir une réflexion globale sur ma pratique.


Pour finir, as-tu une anecdote sympa à partager sur une séance photo ?

Un travail à la chambre à Stockholm. Quand tu photographies les gens, t'as pas nécessairement des refus, au contraire, ils sont flattés parce que tu les as choisis. Finalement on a toujours peur d'aller vers les gens. Ils demandent « pourquoi vous m'avez choisi ? » et tu réponds « mais parce que vous êtes beau » et du coup ils sont un peu flattés d'être en exposition. Il suffit de demander et il y a rarement des refus. Mais ce sont des détails, pleins d’anecdotes où on rencontre l'histoire des gens et ce projet là c'était 100 portraits, donc j'ai vraiment eu 100 anecdotes sur une année de temps.


L'exposition que nous avons préparée avec Horric sera visible au CDI à partir du 18 mai. Voici le carton d'invitation :


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